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Retour sur le viol du petit garçon au Moussem de My Abdellah Oumaghar : où en est l’affaire ?

Portraits & InterviewsInterview
29 septembre 2025, 00:16
Retour sur le viol du petit garçon au Moussem de My Abdellah Oumaghar : où en est l’affaire ?

Najat ANWAR, présidente fondatrice de l'ONG Matkich Waldi " Touche pas à mon enfant"

À la suite du viol du petit garçon lors du Moussem de My Abdellah Oumaghar, l’émotion a bouleversé l’opinion publique avant de retomber brutalement. Pour que ce drame ne soit pas étouffé, FutuDurable a interrogé Najat Anwar, présidente de l’ONG Matkich Waldi -Touche pas à mon enfant-. Elle revient sur l’état de l’enfant, les responsabilités et la protection des enfants au Maroc.

1. Sur l’état de l’enfant et le suivi

Q : Savez-vous dans quel état se trouve actuellement l’enfant physiquement et psychologiquement ?

Suite à l’intervention de Son Altesse Royale la Princesse Lalla Meryem, Présidente de l’Observatoire National des Droits de l’Enfant, il a été précisé que l’enfant victime du Moussem bénéficie d’une prise en charge et d’un suivi psychologique. Son état montre d’ailleurs des signes d’amélioration. Il est dans un centre à Casablanca lui et sa famille, ce qui permet à lui et à toute sa famille d’être soutenus et entourés. C’est un exemple de prise en charge de qualité que nous souhaiterions voir généralisé à l’ensemble des enfants victimes de violences sexuelles, afin que chacun d’eux puisse bénéficier du même intérêt et de la même attention.

Q : Est-il pris en charge par une structure spécialisée (psychologues, Médecin, assistance sociale) ?

L’enfant victime bénéficie d’une prise en charge psychologique au sein de la cellule psycho-trauma pour l’enfant, une structure lancée par Son Altesse Royale la Princesse Lalla Meryem à travers l’Observatoire National des Droits de l’Enfant. Cette cellule est spécialisée dans l’accompagnement des enfants victimes de traumatismes. Elle assure l’écoute, le suivi psychologique et thérapeutique adapté, avec l’appui de psychologues et pédopsychiatres formés. Son rôle est de prévenir les séquelles psychiques, de soutenir l’enfant et sa famille, et de coordonner l’intervention avec les services de santé, de protection sociale et les associations partenaires. En résumé, c’est une structure de référence en santé mentale de l’enfant, destinée à garantir que les victimes de violences ou de chocs majeurs reçoivent un soutien immédiat, professionnel et durable.

Q : L’association est-elle en contact directe avec le petit ou avec sa famille ?

Notre association assure le suivi de ce dossier sur le plan juridique. Nous sommes en contact permanent avec la famille, notamment à travers notre avocat, Maître Hicham Hartoune, avocat au Barreau de Casablanca.

2. Sur la mémoire courte des internautes et de la société

Q : Comment expliquez-vous que l’émotion ait été très forte au début, mais que l’affaire est vite disparue des débats publics ?

L’émotion a été très forte au début parce que ce drame a choqué l’opinion publique par son horreur et par l’âge de la victime. Mais, comme souvent, l’indignation est vite retombée. La société marocaine a encore du mal à affronter la réalité des violences sexuelles faites aux enfants, car ce sujet reste entouré de tabous et de gêne. Les médias, de leur côté, se concentrent souvent sur le choc initial sans assurer un suivi régulier de l’évolution judiciaire ou sociale de ces affaires. À cela s’ajoute un manque de communication claire et transparente de la part des institutions, ce qui favorise le silence et l’oubli. Enfin, les familles et les victimes, faute de moyens et de relais, ne peuvent pas toujours maintenir l’attention publique dans la durée. C’est pour cela que le rôle des associations comme la nôtre est crucial : accompagner, maintenir la pression et rappeler que ces crimes ne doivent jamais sombrer dans l’oubli.

Q : Pensez-vous que les réseaux sociaux favorisent ce zapping d’un scandale à l’autre ?

Les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la médiatisation de ces affaires, mais ils ont aussi une logique de consommation rapide. Ils amplifient fortement l’émotion au moment où le scandale éclate, puis déplacent très vite l’attention vers un autre sujet. Ce rythme de « zapping » permanent empêche souvent la société de suivre en profondeur l’évolution des dossiers. C’est pourquoi il est essentiel que les associations, les médias responsables et les institutions continuent à porter ces affaires dans la durée, au-delà du buzz éphémère des réseaux.

Q : Que faudrait-il mettre en place pour maintenir la mobilisation autour de ce genre de drames ?

Pour maintenir la mobilisation autour de ce type de drames, il faut d’abord un suivi médiatique régulier et responsable, qui informe l’opinion publique de l’évolution judiciaire et de la prise en charge des victimes. Il est aussi nécessaire que les institutions communiquent de façon transparente et rendent compte des mesures prises. Les associations, quant à elles, doivent continuer à accompagner les familles, à plaider et à maintenir la pression pour que ces affaires ne sombrent pas dans l’oubli. Enfin, il est essentiel de développer une éducation de la société afin de briser les tabous qui entourent les violences sexuelles et faire comprendre que chaque enfant victime mérite soutien, justice et protection dans la durée.

3. Sur les responsabilités et la protection des enfants

Q : Selon vous, qui est responsable de la sécurité des enfants dans un Moussem, festival ou autre : l’État, les organisateurs, les familles ?

La sécurité des enfants dans un Moussem ou tout autre festival est une responsabilité partagée. L’État a l’obligation de garantir un cadre sécurisé à travers les autorités locales, les forces de l’ordre et la réglementation. Les organisateurs doivent mettre en place toutes les mesures de prévention et de protection adaptées à la présence d’enfants dans leurs événements. Quant aux familles, elles ont également un rôle de vigilance et d’accompagnement. Mais il est important de souligner que, juridiquement et moralement, la responsabilité première incombe à l’État et aux organisateurs, car ce sont eux qui détiennent le pouvoir d’assurer la sécurité collective dans l’espace public.

Q : Des plaintes ont-elles été déposées contre les agresseurs ? Où en est la procédure judiciaire ?

Des plaintes ont été déposées, le dossier est inscrit à l’audience du 23 septembre pour une enquête détaillée. Notre organisation se constituera partie civile. Six suspects comparaîtront devant le juge d’instruction. L’enquête est toujours en cours et le nombre total de personnes impliquées reste, à ce stade, indéterminé.

Q : Le cadre légal Maroc actuel est-il suffisant pour protéger les enfants, ou faut-il le renforcer ?

La loi marocaine est claire : pour le viol d’un enfant, la peine peut aller jusqu’à trente ans de prison. Sur le papier, c’est très sévère. Mais dans la réalité, il y a un problème. Dans une ville, un criminel peut prendre trente ans. Dans une autre, pour le même crime, un autre prend seulement vingt ans. Cette différence choque. La loi doit être la même pour tous. Pourquoi cette différence ? Parce que certains juges sont fermes. D’autres sont indulgents. Résultat : la loi perd sa force. Les victimes perdent confiance. Et les criminels profitent de ces failles. C’est pour cela que nous demandons une réforme. Il faut que nos lois soient en harmonie avec les conventions internationales que le Maroc a signées. Ces conventions protègent l’enfant sans compromis. Elles bloquent l’indulgence. Elles empêchent l’interprétation variable des juges. Alors oui, écrire des lois sévères, c’est bien. Mais ce n’est pas suffisant. Ce qu’il faut, c’est une application ferme. La même loi pour tout le Maroc. Et une réforme profonde pour protéger réellement nos enfants.

4. Sur les revendications et actions de l’association

Q : Quelles sont les principales revendications que votre association souhaitait porter à la suite de ce drame ?

À la suite de ce drame, notre association souhaite avant tout que justice soit rendue à l’enfant victime et que les responsables soient sanctionnés avec toute la rigueur de la loi. Nous demandons également le renforcement de la protection des enfants dans les espaces publics et lors des événements collectifs, à travers des mesures de sécurité adaptées et un encadrement strict. Après 21 ans de militantisme et de contact direct avec les victimes, nous plaidons pour une prise en charge professionnelle et efficace. Voici notre proposition :

Quand un enfant est victime d’une agression sexuelle, la première urgence, c’est sa santé et sa protection. L’enfant doit être pris en charge dans le centre de santé le plus proche, puis transporté vers un hôpital, accompagné par un assistant social. Il doit être hospitalisé dès le premier jour, de préférence dans un centre spécialisé. S’il n’existe pas dans sa ville, il faut le transférer rapidement vers une ville équipée. L’enfant ne doit pas être baladé d’un commissariat à l’autre, car c’est une double agression. À l’hôpital, il doit rester avec sa maman ou un parent proche. Toutes les procédures policières doivent se faire dans l’hôpital, entouré de médecins, psychologues et assistants sociaux. Et il faut délivrer immédiatement un certificat médico-légal, avant que les blessures ne disparaissent.

Ensuite, l’assistant social joue un rôle central avec trois dossiers :

– L’enquête sociale, pour comprendre les causes et aider l’État à mieux prévenir.

– Le dossier médical, pour garder une trace de l’état de l’enfant, avant et après.

– Le dossier de suivi, pour accompagner l’enfant dans la durée, vérifier sa scolarité, son état psychologique, et l’aider jusqu’à sa guérison.

Mais protéger un enfant, c’est aussi protéger son intimité. Il faut sensibiliser la population et les médias : ne pas divulguer d’informations ou de secrets sur cet enfant, car cela peut causer des traumatismes encore plus graves dans le futur. Enfin, il est indispensable d’unifier le travail des assistants sociaux dans tout le Maroc, pour que chaque enfant, qu’il soit à Casablanca, Oujda ou Smara, bénéficie de la même méthodologie de prise en charge, équitable et humaine.

Q : Proposez-vous des mesures spécifiques pour sécuriser les rassemblements comme les Moussems (contrôles, surveillance, Espace dédié aux enfants) ?

Oui, nous proposons plusieurs mesures concrètes pour renforcer la sécurité des enfants lors des rassemblements comme les Moussems. Cela passe par un contrôle strict des accès, une surveillance accrue à l’intérieur des sites, ainsi que la mise en place d’espaces sécurisés et dédiés aux enfants, avec un encadrement spécialisé. L’objectif est de prévenir les risques et de garantir que ces fêtes populaires restent des moments de joie, sans danger pour les plus vulnérables.

Q : Comment mobiliser la société civile pour que ces affaires ne soient pas oubliées ?

La mobilisation de la société civile passe par une sensibilisation continue à travers les médias, les réseaux sociaux et les campagnes éducatives, afin que l’opinion publique reste vigilante. Il faut aussi renforcer le plaidoyer collectif en unissant les associations, les professionnels et les citoyens autour d’une même exigence : que chaque affaire de violence sexuelle soit suivie jusqu’au bout et ne disparaisse jamais dans l’oubli.

5. Dimension plus large

Q : Le viol et les violences sexuelles sur mineurs sont encore tabous au Maroc. Comment briser ce silence ?

Effectivement, le viol et les violences sexuelles sur mineurs restent entourés de tabous au Maroc. Pour briser ce silence, il faut parler ouvertement de ces crimes, libérer la parole des victimes et de leurs familles, et sensibiliser l’opinion publique à travers l’école, les médias et les campagnes nationales. C’est aussi par une justice ferme et exemplaire que l’on montrera que la société refuse de tolérer l’impunité. Briser le silence, c’est protéger les enfants et affirmer que ces violences concernent toute la société.

Q : Pensez-vous que les médias traitent correctement ces affaires ou tombent-ils trop souvent dans le sensationnalisme ?

Malheureusement, les médias ne traitent pas toujours ces affaires avec la profondeur et la responsabilité qu’elles exigent. Trop souvent, ils privilégient le sensationnel au moment du choc initial, puis délaissent le suivi judiciaire, psychologique et social. Pourtant, ces dossiers demandent un traitement sérieux et continu, qui informe l’opinion publique et contribue à la protection des enfants, au lieu de réduire ces drames à des faits divers passagers.

Q : Quel partenariat avec (l’État, l’école les ONG) pourraient aider à renforcer la prévention ?

La prévention ne peut être efficace qu’à travers un partenariat solide entre l’État, l’école et les ONG. L’État doit mettre en place des lois claires, des dispositifs de protection et des moyens concrets. L’école, de son côté, a un rôle essentiel d’éducation et de sensibilisation des enfants dès le plus jeune âge pour leur apprendre à se protéger et à dénoncer. Enfin, les ONG apportent leur expertise de terrain et leur proximité avec les victimes et les familles, ce qui permet de compléter l’action institutionnelle. Ensemble, ces trois acteurs peuvent créer un véritable réseau de prévention et de protection durable. Fin

L’affaire de My Abdellah Oumghar rappelle brutalement que la protection des enfants au Maroc reste une urgence nationale. L’émotion ne doit pas céder la place à l’oubli, et la justice ne doit pas vaciller face à l’horreur. Si les réseaux sociaux passent vite à autre chose, la société, elle, n’a pas le droit de tourner la page. Protéger les enfants n’est pas un slogan : c’est une responsabilité collective, sans compromis ni délai.

Rédigé par : WB

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