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Juger n’est pas informer : plaidoyer pour une presse responsable et Diwha frasskom

Social & SociétalCommunication responsable
28 septembre 2025, 22:36
Juger n’est pas informer : plaidoyer pour une presse responsable et Diwha frasskom

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Une affaire récente impliquant une youtubeuse a suffi à déclencher un ouragan médiatique et numérique. Relayée par certains journaux sans vérification, amplifiée par des réseaux sociaux en furie, elle a transformé un fait divers en tribunal public. Insultes, accusations non prouvées, diffamation : au-delà du cas individuel, cet emballement révèle les dérives d’un journalisme de meute et d’une société prompte à juger.

Le cadre légal et religieux oublié

Au Maroc, la loi protège la dignité humaine. Le code pénal (articles 442 à 448) sanctionne la diffamation, et l’article 24 de la Constitution garantit le droit à la vie privée. La Charte nationale de déontologie journalistique rappelle, elle, que le rôle de la presse est d’informer, pas de juger.

Dans le cadre religieux dont certains se réclament, les conditions de preuve sont encore plus strictes : quatre témoins directs, ayant vu l’acte comme un fil qui ne passe pas entre deux corps, sont nécessaires pour accuser quelqu’un d’adultère (sourate An-Nur, 24:4). Sans cela, c’est l’accusateur qui tombe dans la calomnie. De plus, le Prophète a insisté : « Celui qui couvre les fautes de son frère, Dieu couvrira ses fautes. » L’Islam, loin d’encourager la mise au pilori, appelle à la protection de l’honneur et à la discrétion.

Hypocrisie sociale et mémoire courte

Ici réside le paradoxe. Une société qui se dit majoritairement croyante se précipite pourtant pour déchirer virtuellement une personne, au mépris des principes religieux qu’elle prétend défendre. Ce n’est pas la piété qui motive, mais le spectacle. Car depuis l’avènement des réseaux sociaux, l’information n’est plus hiérarchisée par son importance mais par sa capacité à créer du buzz.

La mémoire collective s’est raccourcie. Il y a quelques semaines seulement, le viol d’un garçon lors du Moussem Moulay Abdellah Amghar avait suscité une vive émotion. Quelques jours plus tard, l’affaire avait disparu des écrans, remplacée par un nouveau scandale. Ce zapping permanent alimente une culture de l’oubli et empêche toute réflexion durable.

Pourquoi participons-nous à ces tribunaux ?

La psychologie sociale donne des clés. Derrière l’écran, l’individu se sent protégé : c’est l’« effet de meute ». La jalousie joue aussi : on humilie celui qu’on envie. D’autres y trouvent un exutoire, une façon de libérer leurs frustrations économiques ou sociales. Enfin, le moralisme collectif transforme chaque scandale en opportunité de se poser en juge moral. Mais ce n’est ni justice, ni information, c’est une déconstruction sociale.

Et l’alcool dans tout ça ?

Beaucoup d’accusations reposent sur le fait que la personne aurait bu. Mais là encore, les textes comme la loi sont clairs : • En Islam : l’alcool est interdit (Al-Ma’ida, 5:90) et puni par le hudud (40 à 80 coups de fouet). Mais la preuve exige aveu ou témoignage clair et fiable. Le principe de satr (protection) interdit de divulguer les fautes d’autrui.

• En droit marocain :

  • Dahir du 17 juillet 1967, article 28 : la vente d’alcool est interdite aux musulmans, réservée aux non-musulmans.

  • Code pénal, article 286 : l’ivresse publique manifeste est punie d’un à six mois de prison et 200 à 500 dirhams d’amende.

  • Article 287 : si l’ivresse s’accompagne de troubles ou violences, la peine peut atteindre deux ans.

  • En revanche, boire en privé n’est pas un crime, et accompagner quelqu’un qui boit n’est pas une infraction.

Autrement dit, ni la loi marocaine ni la religion ne justifient un lynchage public basé sur des rumeurs.

Pour une communication responsable

Le rôle de la presse n’est pas de nourrir la meute mais de hiérarchiser l’information. Un journalisme éthique devrait se concentrer sur les vrais défis : inflation, crise de l’éducation, pénurie d’eau, hôpitaux en difficulté. Les drames régionaux comme la famine à Gaza ou la guerre civile au Soudan mériteraient une couverture permanente, bien plus que la vie privée d’individus.

La communication responsable repose sur trois piliers : vérifier avant de publier, respecter la dignité des personnes, et donner priorité aux enjeux collectifs.

Les tribunaux publics en ligne ne révèlent pas la piété d’une société, mais son hypocrisie. Ceux qui se disent croyants oublient que notre propre texte sacré condamne la rumeur et la diffamation. Les médias qui choisissent le scandale trahissent leur mission première : informer. Dans une société où la réputation peut briser une vie, la véritable responsabilité est de protéger, non d’exposer.

Rédigé par : WB

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